Les femmes célèbres du campus

L'ancien conseiller d'Etat Philippe Biéler évoque la mémoire de sa grand-mère, Cécile Biéler-Butticaz, une des femmes célébrées avec Ada Lovelace, Flora Ruchat-Roncati et quatre autres. © Alain Herzog / EPFL 2022

L'ancien conseiller d'Etat Philippe Biéler évoque la mémoire de sa grand-mère, Cécile Biéler-Butticaz, une des femmes célébrées avec Ada Lovelace, Flora Ruchat-Roncati et quatre autres. © Alain Herzog / EPFL 2022

Le 8 mars 2022, au terme d’une large consultation de la communauté EPFL, deux places, deux rues et trois chemins du campus d’Ecublens ont été nommés en honneur de femmes de science pionnières.

A l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes, une cérémonie s’est déroulée en présence de la présidente du Conseil d’Etat vaudois Nuria Gorrite, du syndic de la commune d’Ecublens Christian Maeder, ainsi que de proches et descendants de plusieurs de ces femmes.

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Qui sont ces pionnières?

Ada Lovelace

1815-1852
Mathématicienne anglaise

P
ionnière de la programmation informatique

Adolescente douée pour les mathématiques, Ada Byron – de son nom de jeune fille – avait été contrainte d’abandonner sa passion en mettant trois enfants au monde dès l’âge de 20 ans après avoir épousé le comte de Lovelace. Mais elle a repris ensuite ses études, soutenue par son mari. Dans une lettre à sa mère en 1841, elle écrivait : « Je crois que je possède une singulière combinaison de qualités, qui semble précisément ajustées pour me prédisposer à devenir une exploratrice des réalités cachées de la Nature. »

Ada Lovelace est connue pour avoir réalisé le premier véritable programme informatique, lors de son travail sur un ancêtre de l’ordinateur : la machine analytique de Charles Babbage. Pour calculer les nombres de Bernoulli avec cette machine, elle a développé entre 1842 et 1843 un véritable algorithme très détaillé. De plus, ce programme comporte la première boucle conditionnelle, véritable concept informatique, contrairement aux programmes séquentiels qui avaient pu être faits auparavant par Babbage.

Le langage de programmation ADA a été nommé en son honneur en 1978. On peut voir son portrait sur les hologrammes d’authentification des produits Microsoft. Elle est morte à l’âge de 36 ans d’un cancer de l’utérus.

 

Flora Ruchat-Roncati

1937-2012
Architecte suisse

Bâtisseuse des écoles polytechniques fédérales

Diplômée de l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich, Flora Ruchat-Roncati a été la première femme à être nommée professeure ordinaire de l’ETHZ en 1985, où elle a enseigné jusqu’en 2002. En tant qu’architecte privée, elle a été une actrice clé dans la planification du quartier nord de l’EPFL et a co-signé les plans des bâtiments BM, BP, SG et AI, réalisés entre 1993 et 2000.

Figure importante de la Tendenza, mouvement d’architecture moderne tessinoise qui place les besoins des utilisatrices et utilisateurs au premier plan, elle a été inspirée par Le Corbusier et a produit plusieurs édifices en béton. Au début de sa carrière, dans les années 1960, elle a co-planifié de nombreux complexes scolaires et sportifs dans son canton d’origine, comme la piscine extérieure de Bellinzone et sa longue passerelle. En Suisse romande, on lui doit aussi le tracé de la Transjurane et de ses onze tunnels. Elle a également travaillé sur le tunnel du Saint-Gothard.

C’était une femme énergique et chaleureuse qui faisait, selon les personnes qui l’ont connue, peu de distinction entre travail, enseignement et famille. Devenue veuve en 1960 alors que sa première fille n’avait qu’une année, elle a mené de front carrière et maternité. En 1974, elle a eu une deuxième fille hors mariage avec le syndicaliste et poète Leonardo Zanier, ce qui témoigne aussi de son émancipation et de sa modernité pour l’époque.

 

Erna Hamburger

1911-1988
Ingénieure suisse et docteure ès Sciences techniques

Première femme professeure ordinaire de l’EPFL

Après un diplôme de maturité scientifique où elle était la seule fille parmi les garçons, Erna Hamburger est entrée à l’École d’ingénieurs de l’Université de Lausanne et a obtenu un diplôme d’ingénieur électricien (au masculin…) en tant que première de sa volée en 1933.

Ont suivi plusieurs années en tant qu’assistante, un doctorat en sciences techniques, une décennie dans l’industrie privée et plusieurs postes de professeure extraordinaire, avant d’être nommée professeure ordinaire de l’École polytechnique de l’Université de Lausanne (EPUL) en 1967, première femme de l’École à ce titre, deux ans avant sa transformation en EPFL. Son affectation a été saluée ainsi par le professeur Maurice Cosandey, alors président de l’École : « C’est à la fois une brillante consécration et une mesure du retard qui caractérise notre pays en ce qui concerne la promotion de la femme. »

Dès le début de sa carrière scientifique et professorale, elle a œuvré pour différents mouvements de femmes et aidé plusieurs étudiantes et étudiants en difficulté. La Fondation EPFL-WISH (Women in Science and Humanities Foundation) a donné son nom au Prix Erna Hamburger, qui couronne chaque année une carrière féminine exemplaire dans les sciences.

 

Cécile Biéler-Butticaz

1884-1966
Ingénieure suisse et docteure ès Sciences physiques

Première diplômée de l’École d’ingénieurs de Lausanne

Première femme à décrocher un diplôme de l’École d’ingénieurs de Lausanne en 1907, section Génie électrique, Cécile Butticaz a été assistante en physique avant de travailler avec son père ingénieur, puis de diriger en 1909 un bureau de femmes ingénieures. Avec son mari Alfred Biéler, elle a travaillé à la seconde galerie du Simplon en Valais, où elle a fondé une école protestante à Brigue. Par la suite, mère de trois enfants, elle a enseigné les mathématiques dans le privé à Lausanne et Genève.

En 1929, après avoir repris des études à l’Université de Genève, elle a obtenu un doctorat ès Sciences physiques pour ses travaux sur l’invar, un alliage très utilisé dans l’horlogerie. Cofondatrice du club Soroptimist lausannois en 1949, un réseau mondial de femmes exerçant une activité professionnelle, elle a été très active dans divers mouvements de femmes libérales, protestantes et universitaires.

Cécile Biéler-Butticaz a aussi écrit des livres pour enfants, en collaboration avec l’illustratrice Marie Rie Cramer, dont Printemps, Hiver, Automne et Été, et signé des textes d’édification et des chroniques, traitant souvent de questions scientifiques dans différents journaux et revues de Suisse romande, comme La Gazette de Lausanne.

 

Gertrud Woker

1878-1968
Chimiste suisse

Lanceuse d’alerte, pacifiste et féministe

Gertrud Woker a étudié la chimie organique à l’Université de Berne et été la première femme à obtenir un doctorat dans cette branche en 1903. Elle a ensuite étudié la chimie physique à l’Université de Berlin et est devenue, en 1907, la première femme maître de conférences dans une université germanophone, mais on lui a alors refusé le droit d’être payée au même salaire qu’un homme. De retour en Suisse, elle a démontré la toxicité de l’essence au plomb en 1917, mais n’a pas été écoutée.

« Lanceuse d’alerte » avant l’heure, elle a toujours soutenu la responsabilité des scientifiques face aux questions de politique et de société. Pacifiste et féministe, elle a ardemment milité pour le droit de vote féminin et cofondé l’Association internationale des femmes pour une paix durable pendant la Première Guerre mondiale.

De 1933 à 1953, elle a été nommée professeure associée à l’Université de Berne, mais n’a obtenu qu’un minuscule laboratoire pour ses recherches. Après la Seconde Guerre mondiale, elle s’est engagée dans le Mouvement suisse contre l’armement atomique. En raison de ses engagements courageux, elle a enduré beaucoup de critiques et a souffert de dépression. Elle a passé les dernières années de sa vie dans un hôpital psychiatrique.

 

Rita Levi-Montalcini

1909-2012
Neurobiologiste et neurologue italienne

Féministe et Prix Nobel 1986 de médecine

Née à Turin dans une famille juive, Rita Levi-Montalcini a étudié la médecine contre l’avis de son père. Diplômée en 1936, elle n’a pas pu poursuivre une carrière académique en raison de l’antisémitisme du régime fasciste. Pendant la guerre, elle a tenté de chercher refuge en Suisse, mais s’est vu refuser le passage à la frontière. Elle a alors vécu sous une fausse identité à Florence jusqu’à la libération, réalisant des expériences sur la croissance des fibres nerveuses dans un laboratoire de fortune installé dans sa chambre.

En 1946, elle s’est rendue aux Etats-Unis à l’invitation de l’Université de Washington, dans le Missouri, et y est finalement restée trente ans. C’est là qu’elle a réussi, en 1952, l’exploit d’isoler le facteur de croissance nerveuse grâce à ses observations de certains tissus cancéreux. Elle a acquis ensuite le titre de Full Professor (professeure ordinaire) et établi une unité de recherche à Rome, partageant son temps entre la capitale italienne et la ville américaine de Saint-Louis.

En 1986, elle a obtenu avec Stanley Cohen le Prix Nobel de physiologie ou médecine pour la découverte révolutionnaire des facteurs de croissance des cellules nerveuses. Figure importante du féminisme, elle a créé une fondation dédiée à l’éducation des femmes en Afrique.

 

Maryam Mirzakhani

1977-2017
Mathématicienne iranienne

Première lauréate de la médaille Fields

Maryam Mirzakhani est la première femme à avoir reçu la médaille Fields, consacrant ses travaux exceptionnels en mathématiques. Elle a découvert de nouvelles façons de calculer les volumes d’objets comportant des surfaces hyperboliques.

Après une enfance à Téhéran et sa découverte des mathématiques suivie de nombreux prix dans des compétitions nationales et internationales dès l’adolescence, elle a quitté son pays après son master pour effectuer un doctorat à l’Université de Harvard. Sa thèse en 2004, qualifiée de « chef d’œuvre » par plusieurs spécialistes, a permis de résoudre deux problèmes célèbres tout en les reliant et en mettant en relation plusieurs disciplines mathématiques — la géométrie, l’analyse complexe, la topologie et la dynamique.

Nommée professeure de mathématiques à Stanford en 2008 à l’âge de 31 ans, elle a fait la déclaration suivante au moment de recevoir la médaille Fields, six ans plus tard : « C’est un grand honneur et je serai heureuse si cela encourage de jeunes femmes scientifiques et mathématiciennes. Je suis convaincue que de nombreuses autres femmes recevront ce type de récompense dans les prochaines années. »  Maman d’une petite fille, elle est décédée à 40 ans d’un cancer du sein.

 

Illustrations: Sandrine Pilloud
© EPFL 2022