Des connexions se créent pour dépasser la paralysie

Par la combinaison de stimulations Ă©lectrochimiques de la moelle Ă©piniĂšre et dâune rééducation assistĂ©e par robot, des rats atteints d’une lĂ©sion mĂ©dullaire clinique retrouvent le contrĂŽle des membres paralysĂ©s. Mais comment ces commandes cĂ©rĂ©brales (de marche, de natation, ou de montĂ©e dâescaliers) peuvent-elles contourner la lĂ©sion, atteindre la moelle Ă©piniĂšre, et ainsi rendre possibles ces tĂąches complexes ?
Des scientifiques de l’EPFL ont observĂ© pour la premiĂšre fois que le cerveau rĂ©-achemine des commandes motrices spĂ©cifiques par des voies alternatives, soit des fibres neuronales poussant du tronc cĂ©rĂ©bral jusquâĂ la moelle Ă©piniĂšre. La thĂ©rapie provoque le dĂ©veloppement de nouvelles connexions entre le cortex moteur et le tronc cĂ©rĂ©bral, et entre le tronc cĂ©rĂ©bral et la moelle Ă©piniĂšre, reconnectant ainsi le cerveau avec la moelle Ă©piniĂšre de lâautre cĂŽtĂ© de la lĂ©sion. Ces rĂ©sultats paraissent le 19 mars dans la revue Nature Neuroscience.
Quand le cerveau « se recùble »
GrĂ©goire Courtine, chef dâunitĂ© au Centre de neuroprothĂšses de lâEPFL, explique que « le cerveau dĂ©veloppe de nouvelles connexions anatomiques Ă travers des rĂ©gions du systĂšme nerveux restĂ©es intactes aprĂšs la lĂ©sion. Le cerveau rebranche principalement les circuits du cortex cĂ©rĂ©bral, du tronc cĂ©rĂ©bral, et de la moelle Ă©piniĂšre. Ce recĂąblage extensif, nous avons pu lâobserver avec un niveau de dĂ©tail jusquâici inĂ©galĂ©, grĂące aux technologies dernier cri de microscopie du cerveau et de la moelle Ă©piniĂšre. »
« La guĂ©rison n’est pas spontanĂ©e », poursuit LĂ©onie Asboth, scientifique de l’EPFL et auteure principale de lâĂ©tude. «Pour que le recĂąblage ait lieu, les animaux doivent suivre une thĂ©rapie de rééducation intensive. Dans notre cas, cette thĂ©rapie implique une stimulation Ă©lectrochimique de la moelle Ă©piniĂšre, combinĂ©e Ă une physiothĂ©rapie active Ă lâaide dâun harnais de soutien intelligent. »
Une moëlle épiniÚre doublement stimulée
Dans le laboratoire, des rats rendus totalement paraplĂ©giques par une contusion apprennent Ă remarcher Ă l’aide d’une thĂ©rapie qui combine une stimulation Ă©lectrochimique de la moelle Ă©piniĂšre et une rééducation assistĂ©e par robot. La moelle Ă©piniĂšre du rat est doublement stimulĂ©e : dâabord par injection de produits pharmaceutiques, puis par stimulation Ă©lectrique en-dessous de la lĂ©sion, afin dâactiver les muscles des jambes.
Une physiothérapie soutenue par un harnais intelligent qui allÚge le poids du corps et offre des conditions naturelles de marche permet aux rats de retrouver, au bout de quelques semaines, un contrÎle volontaire et étendu de leurs pattes postérieures.
A la longue, les rats peuvent contrĂŽler leurs muscles mĂȘme sans stimulation Ă©lectrochimique, ni harnais. En 2012, le Prof. Courtine et son Ă©quipe avaient dĂ©jĂ montrĂ© que des rats portant des lĂ©sions mĂ©dullaires arrivaient, Ă la suite dâune rééducation neuroprosthĂ©tique, Ă nager et monter des escaliers.
En comparant les cerveaux de rats blessĂ©s puis rĂ©habilitĂ©s avec ceux de rats sains, les scientifiques ont pu identifier une rĂ©gion spĂ©cifique du tronc cĂ©rĂ©bral, la formation rĂ©ticulĂ©e, comme acteur clĂ© du rĂ©tablissement. Ce rĂŽle, les scientifiques lâont dĂ©couvert Ă lâaide de techniques de pointe, l’optogĂ©nĂ©tique et la chimiogĂ©nĂ©tique, appliquĂ©es Ă des animaux transgĂ©niques.
Le systĂšme nerveux en toute transparence
Cet ensemble d’outils permet dâactiver ou dâinhiber sĂ©lectivement certains circuits du cerveau et du tronc cĂ©rĂ©bral afin dâen Ă©tudier la fonction. Les chercheurs ont Ă©galement utilisĂ©, pour visualiser les voies nerveuses, un puissant microscope à « feuilles lumineuses » (light sheet microscope en anglais) nouvellement mis au point par le Wyss Center for Bio and Neuroengineering Ă GenĂšve.
Cette technologie permet de rendre transparent l’ensemble du systĂšme nerveux central, Ă l’exception de nerfs spĂ©cifiques oĂč sâexprime une protĂ©ine fluorescente. En passant un feuillet de lumiĂšre Ă travers le cerveau et la moelle Ă©piniĂšre intactes, les scientifiques ont obtenu des images 3D inĂ©dites qui illustrent l’organisation des voies nerveuses chez les animaux sains, et montrent comment la thĂ©rapie rĂ©organise ces connexions.
Les neurones blessés ne repoussent pas spontanément, mais une réorganisation des connections neurales se produit au-dessus de la lésion, activant de nouveaux canaux de communication.
Reste encore Ă voir si la rĂ©habilitation neuroprosthĂ©tique conduit aussi, chez l’homme, Ă un recĂąblage similaire du cerveau, du tronc cĂ©rĂ©bral et de la moelle Ă©piniĂšre. GrĂ©goire Courtine est optimiste: « Nous avons dĂ©jĂ montrĂ© que la plasticitĂ© du systĂšme nerveux, câest-Ă -dire sa remarquable capacitĂ© Ă dĂ©velopper de nouvelles connexions aprĂšs une lĂ©sion de la moelle Ă©piniĂšre, est encore plus robuste chez l’homme que chez le rongeur. Nous sommes actuellement en train de tester notre thĂ©rapie sur des personnes atteintes d’une lĂ©sion de la moelle Ă©piniĂšre au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). »