Transformations silencieuses : étude sur l’architecture alpine

Patrick Giromini, architecte Dr. EPFL, defended Ph.D (2021)

Le regard et la pensée humaines sont à la fois attirés et repoussés lorsqu’ils tentent d’apprivoiser la montagne. C’est pourquoi l’architecture accuse cet état confus lorsqu’il s’agit d’aborder la question alpine, devant engager la pensée qui la concerne dans une critique des acquis théoriques sur lesquels s’appuie la construction d’un territoire lui étant foncièrement étranger. Habituée au texte, l’architecture demeure désorientée lorsqu’elle est confrontée au langage silencieux mais varié et serré de la parole qui a construit le territoire alpin depuis l’intensification de sa mise en culture à partir du XIIIe siècle. Il s’agit d’une construction politique où le silence individualise des communautés qui sont tenues à l’écart de l’acculturation aux valeurs bourgeoises des pouvoirs dominants. Cependant, la composante politique, souvent négligée dans les études sur l’architecture alpine, conditionne de manière inconsciente, le regard qui est porté sur l’héritage bâti des communautés montagnardes.

Cette étude sur l’architecture alpine est donc une analyse de l’échafaudage idéologique qui soutient les modalités de naturalisation de la matière rurale de la région alpine, notamment lorsque celle-ci est accueillie positivement sous le terme de vernaculaire, mot-clé qui est appliqué indistinctement aux savoir-faire de la culture matérielle. La notion de vernaculaire permet d’échapper à la nécessité de construire un nouveau regard permettant une réelle compréhension de faits extra-textuels, mais d’y appliquer, en revanche, les catégories déguisées de la pensée dominante qui demeure coincée à l’intérieure de l’idée étroite et parfois aride de culture. Ce qui est couramment défini d’architecture vernaculaire, notamment en montagne, n’a de culturel que le sens que lui ont donné les communautés alpines. L’idée d’une culture du bâti, telle que définie par l’institution du patrimoine, ne peut donc décrire les faits bâtis ruraux qui échappent à ce type de catégorisation. La mémoire est souvent apportée en renfort, mais elle ne concerne que des éléments discontinus qui lacèrent le réel patrimoine bâti rural dont la permanence matérielle est une fonction économique et non pas mnémonique. C’est pourquoi son destin ne peut être que l’abandon.

L’acceptation de l’épuisement de certaines structures territoriales, notamment en montagne, devient paradoxalement le seul moyen d’en préserver la mémoire puisque leur vulnérable permanence est un tissu lymphatique sur lequel construire l’économie alpine. L’abandon est moyen et fin d’une raisonnable construction du territoire alpin qu’une partie du modernisme architectural a su interpréter et thématiser en restant à l’écart de suggestions et conseils formels que la littérature architecturale croit pouvoir extraire de la matière qu’elle définit vernaculaire. Uniquement en acceptant l’abandon comme fait il est cependant possible de produire du nouveau patrimoine et d’éviter que la notion d’abandon devienne une ultérieure catégorie que la pensée dominante utilise pour phagocyter ce qui lui demeure incompréhensible.