Le monde automobile sait très bien défendre ses intérêts

Au deuxième semestre 2012, la Confédération a encaissé 3,5 millions de francs au titre de sanctions sur les nouvelles voitures émettant trop de CO2, mais les grands importateurs (plus de 50 voitures par an) n'ont contribué que 0,5 million de cette somme alors qu'ils ont importé 99% des nouvelles voitures. Il faut dire que la réglementation, entrée en vigueur le 1er juillet 2012 dans le cadre de la nouvelle politique climatique suisse, est particulièrement clémente, du moins dans sa phase initiale jusqu'en 2015. Sans cette clémence, la recette aurait été de 404,5 millions de francs, résultat de la multiplication de l'amende prévue de 142.50 francs par gramme de dépassement par rapport à la cible légale de 130 grammes de CO2 par kilomètre par le dépassement moyen de 19 grammes (puisque les émissions moyennes des voitures immatriculées au deuxième semestre 2012 étaient de 149 gCO2/km) et par les 149'400 voitures immatriculées. Mais justement, les dispositions transitoires, calquées sur celles de l'Union Européenne, ont permis de réduire l'amende à un montant si faible pour les grands importateurs qu'il couvre tout juste les frais administratifs.
Comment est-ce possible? Tout dans les dispositions de mise en œuvre a été conçu pour adoucir la note. Ainsi par exemple, un importateur qui afficherait des émissions moyennes dépassant la cible de 12.9 grammes verrait ce montant arrondi à 12 grammes. Cela n'a l'air de rien, mais un gramme de dépassement coûte 142.50 par voiture, donc 1,4 millions pour 10'000 voitures importées. Il faut aussi noter que le dépassement n'est pas calculé par rapport à la limite de 130 grammes de CO2 par kilomètre pourtant inscrit dans la loi sur le CO2. Non, dans la pratique, la limite d'émissions pour un importateur tient compte du poids moyen des véhicules qu'il a vendus. L'étalon pour 2012 était le poids moyen des voitures immatriculées en 2010, soit 1453 kg. Tout véhicule plus lourd a droit à davantage d'émissions, tout véhicule plus léger à moins. Prenons par exemple la Renault Grand Espace 2.0 dCi 150. Elle pèse 2 tonnes. Pour cette voiture, la limite d'émissions est fixée à 155 grammes. Comme elle n'émet selon le fabricant "que" 150 grammes, elle contribue en fait à réduire la sanction pour l'importateur.
Autre bizarrerie du règlement, les importateurs doivent calculer la limite d'émission globale pour leurs importations selon le poids moyen de toutes les voitures qu'ils ont importées, mais le dépassement par rapport à cette limite est calculé pour les 65% des voitures qui émettent le moins de CO2 (100% à partir de 2015). Ils avaient donc intérêt à importer 35% de voitures lourdes, qui ont fait monter la limite bien au-dessus de 130 grammes sans entrer dans le calcul du dépassement. Et comme si tout cela ne suffisait pas, la sanction est réduite pour les 3 premiers grammes de dépassement jusqu'à fin 2018: de 95% pour le 1er gramme, de 84% pour le 2e et de 74% pour le 3e.
On est obligé d'admirer l'habilité des fabricants et importateurs de voitures et de leurs défenseurs auprès des autorités européennes et fédérales. En même temps, on n'est pas vraiment surpris. Déjà le régime précédent de la loi sur le CO2 était appliqué de façon extrêmement clémente. Alors que la loi prévoyait que les émissions de CO2 provenant des carburants devaient baisser de 8%, elles ont effectivement augmenté de 13%. Le secteur n'a même pas acheté assez de certificats à l'étranger pour compenser cela. De même, les objectifs fixés par le Parlement pour la baisse de la consommation de carburant des voitures neuves ont été manqués chaque année depuis 1995 sans que cela ne porte à conséquence.
Pour terminer sur une note positive, on notera que la recette de 3,5 millions de francs mentionnée en entrée de cet article permettra, après déduction des frais et de la part du Lichtenstein, de verser 74 centimes à chaque ménage suisse via l'assurance-maladie.