Une suite qui dérange

Le nouveau film d'Al Gore décrit ses actions aux Etats-Unis et dans le monde entier pour promouvoir la protection du climat. On le voit notamment agir en coulisse des négociations de la COP21 à Paris en novembre-décembre 2015 pour amener l'Inde à lever son embargo contre un accord ambitieux. Le premier ministre indien avait ouvert la conférence en déclarant qu'il ne pouvait pas priver sa population des énergies fossiles bon marché et qu'il ne ressentait aucune obligation morale de le faire, puisque les pays industrialisés avaient construit leur développement pendant 150 ans sur ces énergies. Or, il était impossible d'aboutir à un accord ambitieux sans la participation d'un pays représentant un septième de la population mondiale.

Notre planète ne supporterait pas que les grands pays émergents s'industrialisent sur le modèle des pays d'Europe et d'Amérique du Nord. Heureusement, ce n'est pas nécessaire. De même que la téléphonie se répand rapidement en Afrique sans passer par les lignes fixes, les nouvelles technologies permettent aux pays émergents d'améliorer les conditions de vie de leurs populations sans passer par le déboisement, le charbon et le pétrole. Ils peuvent profiter des nouvelles énergies renouvelables, qui permettent dorénavant de produire de l'électricité de façon centralisée et décentralisée à un coût inférieur à ceux des centrales nucléaires, à charbon et à mazout, surtout si l'on prend en compte les coûts de la pollution. La première étape pour Al Gore et son équipe était de démontrer ceci aux autorités indiennes. Mais encore fallait-il que le pays ait accès à ces nouvelles technologies avec des conditions abordables. Dans le cadre d'un programme de recherche européen avec des partenaires chinois et indiens, nous avions déjà démontré que le transfert des technologies était une condition sine qua non pour que ces pays contribuent à la baisse des émissions de CO2 (Ph. Thalmann, "La politique climatique mondiale passe par des transferts de technologie avec la Chine et l'Inde", La Vie Economique 4, avril 2010, 52-54). Dans son film, Al Gore montre comment il convainc le principal producteur de cellules photovoltaïques aux Etats-Unis de céder sa technologie gratuitement à l'Inde et comment il obtient que la Banque Mondiale accorde à ce pays des crédits avantageux pour construire de vastes parcs solaires. Forte de ces deux engagements, l'Inde finit par accepter l'Accord de Paris, permettant ainsi son succès historique.

PS: On observera qu'Al Gore utilise systématique l'expression de "crise climatique" à la place de "réchauffement climatique" ou "changements climatiques". Il insiste ainsi sur le fait que les effets s'accélèrent et deviennent de plus en grave, en même temps que les gouvernements tardent à prendre les mesures indispensables pour ralentir le processus sous la pression de groupes d'intérêts. La crise climatique est ainsi autant une crise politique qu'une crise environnementale.