Des vaches à lait partout

L'initiative "En faveur du service public" et l'initiative "Pour un financement équitable des transports" veulent au fonds la même chose: que l'usager d'un service public ne paie que les coûts de ce service et que tout ce qu'il paie soit utilisé pour l'améliorer. Dans le cas de la seconde initiative, le service public c'est l'infrastructure routière. Difficile d'argumenter sur des principes fondamentaux en faveur de l'une et contre l'autre. Il faut plutôt admettre que si on est pour la première et contre la seconde, c'est qu'on trouve que le Parlement n'en fait pas assez pour les services publics à part la route, et inversement si on vote contre la première initiative et pour la seconde.

En dehors de ces considérations sectorielles, les deux initiatives ont les mêmes défauts. Pour commencer, les chemins de fers et la route ne couvrent de loin pas tous leurs coûts, même avec le total de ce que leurs usagers paient directement. En prenant à la lettre les deux initiatives, il faudrait réduire les dépenses dans ces secteurs afin qu'il reste assez pour payer les dommages couverts aujourd'hui par d'autres budgets tels que la santé, l'assurance invalidité, la protection de l'environnement, etc. Quand on aura fait cela, on pourra privatiser ces secteurs, puisqu'une activité publique autofinancée peut être organisée comme une entreprise. Depuis 2006, la Fondation Centime Climatique puis la Fondation KliK, créées par des organisations du pétrole, de la route et de l'économie, prélèvent quelques centimes sur l'essence et le diesel afin de financer la compensation d'une petite partie des émissions de CO2 dues à ces carburants. A terme, une telle fondation pourrait encaisser l'entier des impôts sur les carburants et financer l'infrastructure routière.

Ces initiatives participent à une réduction des marges de décision pour le Parlement puisqu'elles le privent de la possibilité d'investir une somme différente dans une prestation publique que la somme qu'il choisit de faire payer par ses usagers. Dans la bonne gouvernance publique, le Parlement fixe les priorités pour ses dépenses en fonction des besoins et cherche le meilleur moyen de financer l'ensemble selon des critères d'équité et d'efficacité fiscale. Il optimise donc séparément le côté dépenses et le côté recettes de son budget. Il faut reconnaître que le Parlement lui-même prend régulièrement des décisions qui entravent sa marge de manœuvre budgétaire, par exemple récemment avec son projet d'inscrire dans la Constitution l'obligation de redistribuer l'intégralité des taxes sur le CO2 et l'énergie, alors même qu'une majorité de la population souhaite qu'il utilise ces recettes pour renforcer les effets incitatifs de ces taxes ou en amortir les coûts sociaux.

Comme beaucoup d'initiatives populaires récentes, les deux citées en ouverture ne visent pas à donner une impulsion nouvelle au Parlement fédéral, à le faire sortir de son inertie légendaire, mais au contraire à le déresponsabiliser. Mérite-t-il ce manque de confiance?