Neuronal Ancestral Sculptures Series

Neuronal Ancestral Sculptures Series
La rĂ©sidence de Nora Al-Badri Ă lâEPFL, au Laboratory for Experimental Museology (EM+) du CDH dirigĂ© par Sarah Kenderdine, remonte officiellement au mois de juillet en 2019. Lâexposition intitulĂ©e « SĂ©rie de sculptures neuronales ancestrales » Ă lâArtLab en a constituĂ© lâapogĂ©e.


Rencontre avec Nora Al-Badri
Autrice de l’article: Celia Luterbacher
Lorsquâelle ne se trouve pas au laboratoire EM+ Ă Saint-Sulpice, Nora AI-Badri vit et travaille Ă Berlin. Elle dĂ©tient un diplĂŽme en sciences politiques de lâUniversitĂ© Wolfgang Goethe Ă Francfort-sur-le-Main et son Ćuvre novatrice a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ©e notamment par The New York Times, la BBC, Wired, The Financial Times, The Boston Globe, Gizmodo et New Scientist.
EPFL: Pouvez-vous nous dĂ©crire ce qui vous dĂ©finit en tant quâartiste?
Nora Al-Badri: Je suis une artiste pluridisciplinaire; la technologie me sert de support depuis de nombreuses annĂ©es: robotique, donnĂ©es en 3D ou encore logiciels fondĂ©s sur lâintelligence artificielle.
Je suis Ă©galement une politologue expĂ©rimentĂ©e et tout ce que je crĂ©e vise Ă dĂ©construire les structures du pouvoir telles que nous les connaissons et Ă exploiter le potentiel dâĂ©mancipation de la technologie. Jâaime citer Frantz Fanon pour parler de ma pratique artistique: «Les luttes pour la dĂ©colonisation tournent avant tout autour de la notion de propriĂ©tĂ©. Elles sâefforcent de repossĂ©der, de reprendre â si nĂ©cessaire par la force â ce qui nous revient inconditionnellement et donc nous appartient.»
Lâune de mes Ćuvres par exemple, effectuĂ©e en collaboration avec Jan Nikolai Nelles, est connue sous le nom de «piratage de NĂ©fertiti». Nous avons scannĂ© en secret le buste de la reine NĂ©fertiti au Nouveau MusĂ©e de Berlin. Ensuite, nous avons exposĂ© et enfoui en Ăgypte une impression 3D du buste comme une forme dâhĂ©ritage technologique.
EPFL: Quelles sont vos motivations dâartiste?
NAB: Je perçois et exploite le potentiel Ă©mancipateur et subversif de la technologie. Je pense que les questions dâĂ©thique et de biais de reprĂ©sentation doivent ĂȘtre nĂ©gociĂ©es dans lâart et les humanitĂ©s numĂ©riques. Je suis Ă©galement dâavis que ce dĂ©bat ne doit pas se confiner Ă lâuniversitĂ© ou au musĂ©e, car ce sont des lieux privilĂ©giĂ©s, malheureusement inaccessibles Ă la majoritĂ© des gens.
La viralitĂ© et Internet constituent une autre sphĂšre publique qui doit accueillir ce type de discussion, mĂȘme si lĂ aussi presque la moitiĂ© de la population nâest pas encore en ligne. Mais comme artiste, je peux atteindre le vaste monde et soutenir le recentrage des connaissances vers les pays du Sud.
EPFL: Parlez-nous de cette série de sculptures neuronales ancestrales.
NAB: Ma recherche au laboratoire EM+ couvre lâIA et les pratiques musĂ©ales comme forme dâhĂ©ritage technologique et une pratique de dĂ©colonisation. Cette sĂ©rie de sculptures neuronales ancestrales est axĂ©e sur lâIraq et ses artĂ©facts archĂ©ologiques. Je mâattache Ă rĂ©flĂ©chir sur lâinstant de crĂ©ation dâimage comme pratique mimĂ©tique en appliquant des rĂ©seaux adverses gĂ©nĂ©ratifs (en anglais «generative adversarial networks» ou GAN) aux images de ces artĂ©facts.
Les GAN sont une nouvelle technologie passionnante, plus connues sous le nom de «deepfakes»; les images peuvent sembler aussi rĂ©elles que des photos, or elles nâen sont pas car elles ont Ă©tĂ© produites pas des rĂ©seaux neuronaux. Cela nous confronte Ă des questions dâoriginalitĂ© et dâauthenticitĂ© et nous invite Ă explorer le rĂ©seau neuronal lui-mĂȘme comme outil artistique.
Les images produites sont potentiellement transcendantales: dans le discours de lâislam, par exemple, la gĂ©omĂ©trie possĂšde sa propre conception spirituelle, sans structure sĂ©miotique; elle se fonde sur des Ă©lĂ©ments mixtes issus des mathĂ©matiques et de lâart. Elle ne poursuit pas dâintention dĂ©corative mais se rĂ©fĂšre mimĂ©tiquement et spirituellement Ă lâinfini. Câest ce que nous explorons par lâintermĂ©diaire de divers ensembles de donnĂ©es dâartĂ©facts de MĂ©sopotamie.
Ă mon sens, lâapparition de nouvelles images crĂ©Ă©e par lâIA et inspirĂ©es par des images anciennes ou ancestrales pourrait aussi dĂ©boucher sur de nouveaux rĂ©cits dans lâIraq dâaujourdâhui, un pays confrontĂ© chaque jour Ă des pertes humaines et culturelles. Avec ce projet, jâentends contribuer Ă ce que ce pays se distingue Ă lâavenir par la crĂ©ation et non la destruction.
EPFL: PrĂ©voyez-vous de collaborer avec dâautres laboratoires de lâEPFL?
NAB: Je suis en discussion avec dâautres laboratoires du campus, dont le laboratoire de reprĂ©sentation visuelle (IVRL), le laboratoire de traitement des signaux (LTS5) et le laboratoire dâapprentissage automatique et dâoptimisation (MLO). Des chercheurs du LIDIAP sont eux aussi Ă la recherche de thĂšmes portant sur la justice sociale, la dĂ©colonisation et la reprĂ©sentation. Je discuterai donc avec eux du rĂŽle des pays du Sud ainsi que des reprĂ©sentations et des biais dans lâapprentissage automatique.
Je trouve passionnant dâĂ©voluer dans lâuniversitĂ© en tant quâartiste, dâĂȘtre bienvenue partout et de croiser Ă tout moment des chercheurs rĂ©putĂ©s. Je constate que nous partageons de nombreuses questions et domaines de recherche, mais que les rĂ©sultats et le public sont relativement diffĂ©rents.
Nora Al-BadriÂ

Nora Al-Badri est une artiste mĂ©diatique pluridisciplinaire et conceptuelle d’origine germano-irakienne. Ses Ćuvres sont basĂ©es sur la recherche et ont une dimension paradisciplinaire, Ă la fois post-coloniales et post-numĂ©riques. Elle vit et travaille Ă Berlin. Elle est diplĂŽmĂ©e en sciences politiques de l’UniversitĂ© Johann Wolfgang Goethe de Francfort-sur-le-Main et est actuellement chargĂ©e de cours Ă l’ETH de Zurich. Sa pratique se concentre sur la politique et le potentiel Ă©mancipateur des nouvelles technologies, telles que l’intelligence artificielle ou la sculpture de donnĂ©es. Le matĂ©riau artistique d’Al-Badri est une archĂ©ologie spĂ©culative, allant des fossiles aux artefacts, ou des interventions performatives dans les musĂ©es et autres espaces publics, qui rĂ©pondent aux structures de pouvoir inhĂ©rentes.