Premiers bĂątiments: le site avant l’EPFL

Auteur anonyme, PremiÚre de couverture du livre Aéroport vaudois, 1945

Auteur anonyme, PremiÚre de couverture du livre Aéroport vaudois, 1945

Les terrains de Dorigny et d’Ecublens n’ont pas toujours accueilli les bĂątiments de l’UniversitĂ© et de l’Ecole polytechnique fĂ©dĂ©rale de Lausanne. Il y a soixante ans, les paysans locaux y labouraient encore leurs champs de maĂŻs, de colza ou de blĂ©. Durant la premiĂšre moitiĂ© du XXe siĂšcle cependant, ces sols ont suscitĂ© les convoitises, qui ne les destinaient ni Ă  l’agriculture ni Ă  l’implantation des hautes Ă©coles. D’une citĂ© olympique Ă  un aĂ©roport militaire ou civil, le paysage de l’Ouest lausannois aurait pu revĂȘtir un tout autre visage.

Une cité olympique à Dorigny

Depuis le XVIIe siĂšcle, le terrain de Dorigny est habitĂ© et entretenu par de riches patricien·ne·s lausannois1. En 1911 surgit l’idĂ©e d’y construire une citĂ© olympique alors mĂȘme que la famille propriĂ©taire rĂ©side encore sur ces terres.

La mĂȘme annĂ©e, lors des Jeux Olympiques (JO) de Stockholm, le ComitĂ© International Olympique (CIO) lance un premier concours d’architecture. Son objet est de concevoir un site permanent pour les JO afin d’éviter les fortes dĂ©penses Ă©conomiques pesant sur les pays d’accueil. Le seul projet connu issu de ce concours est celui d’Alphonse LaverriĂšre — un architecte en vue qui rĂ©alise notamment la gare CFF de Lausanne, la tour du Bel-Air MĂ©tropole ainsi que le Tribunal FĂ©dĂ©ral2 â€” et de son associĂ© EugĂšne Monod. Leur proposition, intitulĂ©e « Une Olympie moderne sur la rive droite du lac de GenĂšve », leur permet de remporter la mĂ©daille d’or3.

Quelques annĂ©es plus tard, le projet de citĂ© olympique n’a toujours pas abouti. Aucun emplacement ne semble convenir. Alphonse LaverriĂšre, qui travaille dĂ©sormais seul, souhaite construire la citĂ© olympique Ă  Dorigny, prĂšs du nouveau siĂšge du CIO. Le projet s’étend sur un terrain d’un kilomĂštre carrĂ© environ. Il part du port de Saint-Sulpice pour aller jusqu’à l’embouchure du Flon, avec une extension pour les bĂątiments annexes de cinq kilomĂštres carrĂ©s sur la plaine de Vidy. L’idĂ©e ne se concrĂ©tisera finalement pas4 et le site fera alors l’objet d’autres convoitises, en commençant par l’implantation d’un aĂ©roport pour desservir la ville de Lausanne et ses environs.

Un aéroport civil et militaire à Ecublens

A la veille de la Seconde Guerre mondiale, l’aĂ©rodrome de la BlĂ©cherette sur les hauts de Lausanne est l’une des premiĂšres places d’aviation civile et militaire suisse Ă  entrer en fonction. Les conditions d’utilisation ne sont toutefois pas optimales. Les aviateurs connaissent des difficultĂ©s d’atterrissage en raison du terrain vallonnĂ© et des obstacles qui l’entourent, Ă  l’exemple d’une allĂ©e d’arbres ou de lignes Ă  haute tension. De plus, l’altitude du point culminant des pistes est Ă©levĂ©e : situĂ© Ă  610 mĂštres au-dessus du niveau de la mer, il se trouve souvent dans la brume. Enfin, la localisation et la topographie de l’aĂ©rodrome ne permettent pas une extension suffisante pour rĂ©pondre aux besoins croissants du trafic aĂ©rien. Un dĂ©placement gĂ©ographique apparaĂźt donc nĂ©cessaire5.

En 1942, le DĂ©partement militaire fĂ©dĂ©ral passe une convention avec la MunicipalitĂ© de Lausanne. Il cherche un nouveau lieu pour son aĂ©rodrome vaudois afin de renforcer la dĂ©fense nationale en temps de guerre6. Ils choisissent alors les terrains d’Ecublens et de Dorigny pour leur dimension et leur emplacement avantageux. PrĂ©sentant une surface d’un kilomĂštre carrĂ© Ă  six kilomĂštres du centre-ville, ces terrains ont la capacitĂ© de contenir deux pistes artificielles d’atterrissage et de dĂ©collage. Leur situation sur les rives du lac LĂ©man Ă  une basse altitude (395 mĂštres), en dessous de la couche de brume, assurerait une bonne visibilitĂ© aux aviateurs. De plus, la proximitĂ© du lac et l’amĂ©nagement d’un pont reliant l’eau Ă  la terre permettraient l’arrivĂ©e et le dĂ©part d’hydravions.

Croquis de l'aérogare
Auteur anonyme, Plan de l’aĂ©rogare douanier (sic), fĂ©vrier 1939 (AVL)
Ce croquis reprĂ©sente le projet d’aĂ©rogare tel qu’envisagĂ© en 1939.

De nombreuses voix s’élĂšvent en faveur de la crĂ©ation de cet aĂ©roport civil-militaire, Ă  l’instar de Karl Kobelt (1891-1968), conseiller fĂ©dĂ©ral et chef du DĂ©partement militaire, actif dans le parti radical-dĂ©mocratique suisse. Il met en avant les opportunitĂ©s de travail que l’aĂ©roport pourrait offrir dans le futur7. Les reprĂ©sentants du commerce lausannois, quant Ă  eux, voient dans la construction du projet un intĂ©rĂȘt Ă©conomique non nĂ©gligeable. A GenĂšve, par exemple, l’implantation d’une telle infrastructure aurait permis d’augmenter considĂ©rablement le chiffre d’affaires des commerçant·e·s genevois·es, en facilitant notamment la venue d’une clientĂšle nouvelle8. Enfin, l’Office vaudois du tourisme attire l’attention sur le rĂŽle attractif que l’« AĂ©roport du LĂ©man », comme il souhaite le nommer, pourrait jouer dans la politique touristique du canton9.

A l’inverse, certains opposant·e·s rejettent immĂ©diatement le projet. Tel est le cas des habitant·e·s d’Ecublens et des communes voisines qui craignent les nuisances sonores10. De plus, ils ne veulent pas perdre les terres situĂ©es Ă  l’emplacement de la future construction. Ils bĂ©nĂ©ficient du soutien de la SociĂ©tĂ© vaudoise d’agriculture et de viticulture, responsable de la commercialisation de leurs produits. Celle-ci s’inquiĂšte de la baisse de la production rurale locale engendrĂ©e par la disparition des champs et, par consĂ©quent, du manque de denrĂ©es alimentaires, vitales en pĂ©riode de guerre11.

Plan constitué de deux pistes, une militaire et l'autre civile avec leurs bùtiments respectifs.
Auteur anonyme, Plan d’ensemble du projet d’aĂ©rodrome (AĂ©roport vaudois, 1945, p. 15)
Le plan de l’aĂ©rodrome est constituĂ© d’une piste militaire, d’une piste civile et de leurs bĂątiments respectifs.

En 1945, la Commune de Lausanne et la ConfĂ©dĂ©ration achĂštent les terrains dans l’intention d’y bĂątir l’aĂ©roport12. Elles demandent une aide financiĂšre importante Ă  l’Office fĂ©dĂ©ral de l’air, au Canton de Vaud et au DĂ©partement militaire fĂ©dĂ©ral afin de procĂ©der aux travaux de voĂ»tage de la riviĂšre de la Sorge, de drainage et d’aplanissement pour l’amĂ©nagement de pistes aĂ©riennes et de bĂątiments annexes13. En 1946, le peuple vaudois lance un rĂ©fĂ©rendum cantonal. Il refuse de subventionner la rĂ©alisation du projet. Les terrains sont alors louĂ©s aux fermier·Úre·s de la rĂ©gion.

Un aéroport civil pour le tourisme lausannois

Avec la fin de la guerre, il n’est plus nĂ©cessaire de disposer d’autant d’aĂ©roports militaires. En 1955, le DĂ©partement militaire fĂ©dĂ©ral estime que la construction d’un aĂ©roport ne prĂ©sente plus d’intĂ©rĂȘt pour la protection nationale et annonce le retrait de sa participation au projet. Cependant, la question de concevoir une infrastructure exclusivement civile se pose toujours. Les organisateurs de l’Exposition nationale suisse de 1964 se prononcent en faveur du maintien d’un aĂ©roport civil : le public international qu’ils souhaitent attirer pourrait, par ce biais, se rendre aisĂ©ment et rapidement Ă  Lausanne14.

En 1958, une nouvelle convention de vente entre le DĂ©partement militaire fĂ©dĂ©ral et la Commune de Lausanne est acceptĂ©e par le Conseil communal. La demande de concession du terrain pour la construction d’un aĂ©rodrome uniquement civil se heurte cependant aux rĂ©serves du Conseil d’Etat. En effet, la commune d’Ecublens, alors en pleine expansion, se trouve dĂ©jĂ  presque en zone urbaine et l’emplacement, trop proche de la ville, ne convient plus. Le projet d’aĂ©roport est dĂ©finitivement abandonnĂ© en 196015.

Tout au long du XXe siĂšcle, les terrains d’Ecublens et de Dorigny ont ainsi inspirĂ© des idĂ©es de projets aux ambitions diverses. Aucune d’entre elles n’a finalement Ă©tĂ© concrĂ©tisĂ©e. Elles n’ont donc pas eu d’impact sur l’amĂ©nagement et l’occupation de ce site, si ce n’est de le rĂ©server pour l’implantation de la future citĂ© universitaire.

Clémentine Artru et My-Linh Dinh (EPFL, architecture)

Crédits iconographiques

Archives de la construction moderne, EPFL, Fonds Alphonse LaverriÚre (ACM) Archives de la Ville de Lausanne, Fonds administratif architecture (AVL) Aéroport vaudois : Lausanne-Ecublens, s. l., s. n., 1945 (Aéroport vaudois, 1945)

Notes

1. Constance LAMBIEL, « D’autres projets pour le domaine de Dorigny », Dorigny 40, https://www2.unil.ch/dorigny40/dautres-projets-pour-le-domaine/index.html (consultĂ© le 24 fĂ©vrier 2019).
2. « Alphonse LaverriÚre », Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Alphonse_Laverri%C3%A8re (consulté le 16 avril 2019).
3. « Art Competitions at the 1912 Stockholm Summer Games: Mixed Architecture », SR/Olympic sports, https://www.sports-reference.com/olympics/summer/1912/ART/mixed-architecture.html (consulté le 16 avril 2019).
4. Constance LAMBIEL, op. cit.
5. Herbert WEIBEL, « Le projet d’aĂ©rodrome de Lausanne-Ecublens », AĂ©roport vaudois: Lausanne-Ecublens, s. l., s. n., 1945, p. 11.
6. Henry CHEVALLEY, « Un aĂ©roport s’impose non loin de Lausanne. Notre EnquĂȘte sur l’aĂ©rodrome d’Ecublens », Gazette de Lausanne, 1er avril 1957, p. 5.
7. « Concerne l’aĂ©rodrome d’Ecublens », ProcĂšs-verbal de la confĂ©rence tenue au DĂ©partement militaire (rĂ©digĂ© par Karl Kobelt), Berne, 2 juin 1942, Archives communales d’Ecublens, X10.
8. Henry CHEVALLEY, « Pour l’économie lausannoise, il s’agit de ne pas rater le coche. Notre EnquĂȘte sur l’aĂ©rodrome d’Ecublens », Gazette de Lausanne, 11 avril 1957, p. 5.
9. Dr Guhl HENRI, « Le tourisme vaudois et Ecublens », Aéroport vaudois : Lausanne-Ecublens, s. l., s. n., 1945, p. 26-27.
10. Henry CHEVALLEY, « DĂ©centraliser les places d’aviation continentales. Notre EnquĂȘte sur l’aĂ©rodrome d’Ecublens », Gazette de Lausanne, 3 avril 1957, p. 5.
11. Lettre de la SociĂ©tĂ© vaudoise d’agriculture et de viticulture au service fĂ©dĂ©ral d’alimentation, Berne, 27 septembre 1940, Archives communales d’Ecublens, X13.
12. Herbert WEIBEL, op. cit.
13. « Aviation lausannoise : Lausanne-Ecublens. Un premier projet abandonné », Ville de Lausanne, http://www.lausanne.ch/thematiques/culture-et-patrimoine/histoire-et-patrimoine/archives-communales/expositions-virtuelles/aviation-lausannoise/lignes-internes/lausanne-ecublens.html#container (consulté le 16 avril 2019).
14. Henry CHEVALLEY, « Place d’aviation vaudoise et exposition nationale. Notre EnquĂȘte sur l’aĂ©rodrome d’Ecublens », Gazette de Lausanne, 25 mai 1957, p. 7.
15. « Aviation lausannoise : Lausanne-Ecublens. Un premier projet abandonné », op. cit.

Terrains agricoles situĂ©s Ă  Ecublens avant la construction de l’EPFL

Premiers bùtiments: les hautes écoles hors de la ville

Au dĂ©but des annĂ©es 1960, l’augmentation du nombre d’étudiant·e·s dans les universitĂ©s suisses et l’expansion des sciences de l’ingĂ©nieur poussent la ConfĂ©dĂ©ration Ă  repenser ces institutions.

Le volume du projet de 1971 pour la nouvelle EPFL est vu depuis les hauteurs d’Ecublens. Il est reprĂ©sentĂ© en blanc et contraste avec les Alpes en arriĂšre-plan.

Premiers bĂątiments: la bataille des tours

Au moment de sa mise Ă  l’enquĂȘte cependant, en 1973, la variante proposĂ©e comporte une sĂ©rie de tours, dont l’intĂ©gration dans le paysage fait polĂ©mique.

Photographie des terrasses de l'EPFL. Les fleurs orange débordent abondamment des bacs et leur couleur se confond avec celle de la façade.

Premiers bĂątiments: un projet paysager

Ursula Schmocker-Willi et Jakob Zweifel collaborent Ă  la conception paysagĂšre de la premiĂšre Ă©tape de l’EPFL, oĂč ils donnent une large place Ă  la vĂ©gĂ©tation.