Les sources primaires, telles quâon les trouve dans les archives â plans, correspondances, rapports, photographies, documents administratifs ou techniques, maquettes â sont produites par les acteurs au moment mĂȘme des faits. Dans les recherches sur lâespace, l’architecture ou lâenvironnement bĂąti, elles permettent dâaccĂ©der aux logiques concrĂštes de conception, de dĂ©cision, d’exĂ©cution et de transformation. Travailler avec ces sources, câest interroger les documents dans leur contexte de production, en croisant les traces pour construire un savoir fondĂ© et vĂ©rifiable.
L’utilitĂ© des sources : les archives Ă lâheure de lâIA
– Articuler lectures directes et interprĂ©tations
– Comprendre les diffĂ©rences entre information vĂ©rifiable et contenu gĂ©nĂ©rĂ©
Ă lâheure oĂč lâintelligence artificielle gĂ©nĂšre des contenus fluides mais sans ancrage vĂ©rifiable, travailler avec les archives prend un sens renouvelĂ©. Dans ce nouveau paysage informationnel, les archives ne sont pas un outil parmi dâautres, mais une ressource particuliĂšrement intĂ©ressante pour travailler Ă partir de documents concrets et vĂ©rifiables, ouvrant la possibilitĂ© dâancrer la recherche dans des matĂ©riaux rĂ©els.
- Sources primaires
- Les sources primaires sont des documents produits au moment des faits, par les acteurs directement impliquĂ©s dans les projets Ă©tudiĂ©s : architectes, ingĂ©nieurs, maĂźtres dâouvrage, administrations, entreprises, usagers. Il peut sâagir de plans, mais aussi de courriers, de rapports, de relevĂ©s techniques, de photographies de chantier, de procĂšs-verbaux, etc. On les trouve principalement dans les archives.
Ces sources offrent un accĂšs direct aux logiques de production de lâenvironnement bĂąti, mais exigent une lecture critique : une pratique quâon appelle la critique des sources. - Sources secondaires
- Les sources secondaires sont produites aprĂšs coup, par des chercheur·euses, historien·nes, journalistes ou autres analystes. Il sâagit de publications scientifiques, dâarticles, de monographies, de catalogues dâexposition ou de rĂ©cits biographiques. On les trouve prioritairement dans les bibliothĂšques ou sur des plateformes numĂ©riques. Elles proposent une lecture interprĂ©tative, souvent prĂ©cieuse pour situer une problĂ©matique, mais qui doit ĂȘtre confrontĂ©e aux sources primaires afin dâĂ©viter les reprises non questionnĂ©es ou les simplifications.
- Un travail scientifique implique d’articuler ces deux types de sources :
- mobiliser les sources primaires comme matĂ©riaux dâenquĂȘte, et les sources secondaires comme outils de cadrage ou de mise en perspective. Câest dans cette tension que se construit une analyse critique fondĂ©e.
- Information vérifiable, historiquement et matériellement située
- Lâutilisation critique des sources archivistiques implique une conscience du contexte de production, des intentions du producteur et des relations entre les documents qui marquent tout ensemble dâarchives. Le sens de lâinformation nâest jamais intrinsĂšque, mais se construit Ă travers un processus de lecture situĂ©e, qui prend en compte la matĂ©rialitĂ©, la provenance, la fonction initiale et lâinscription du document dans un rĂ©seau de relations historiques, sociales et institutionnelles.
- Discours plausible, généré à la demande, non vérifiable
- LâAI ne cherche pas lâinformation, elle la gĂ©nĂšre. Les modĂšles de langage (LLM) comme ChatGPT normalement nâaccĂšdent pas directement Ă des sources documentaires, mais gĂ©nĂšrent des rĂ©ponses Ă partir de corrĂ©lations probabilistes entre les mots : il s’agit d’une analyse statistique de trĂšs grands volumes de textes. Le âcontexteâ quâils Ă©voquent est une simulation discursive, construite Ă partir de schĂ©mas rĂ©currents, et non le rĂ©sultat dâune recherche dans des sources rĂ©elles. L’information fournie est fondĂ©e sur la vraisemblance, non sur la traçabilitĂ© : elle nâest ni recherchĂ©e, ni situĂ©e, ni Ă©valuĂ©e dans sa spĂ©cificitĂ© historique.
- Pour les chercheurs et chercheuses, cela implique une vigilance méthodologique :
- lâAI peut servir dâoutil linguistique ou dâaide Ă la formulation, mais elle ne remplace en aucun cas le travail intellectuel dâenquĂȘte, de vĂ©rification et dâanalyse critique des sources documentĂ©es.
Plus d’informations : Conseils pour lâutilisation de lâIA gĂ©nĂ©rative dans la recherche et lâĂ©ducation.
Utiliser les sources : l’approche critique
– Adopter une lecture contextuelle des documents
– Rendre explicite lâusage des sources
Les documents vĂ©hiculent toujours un point de vue. Un plan, un texte officiel, une image ou un rĂ©cit ne montrent jamais la rĂ©alitĂ© «âŻtelle quelleâŻÂ», mais une certaine maniĂšre de la reprĂ©senter, liĂ©e Ă un contexte et Ă une intention. Aller aux archives, ce nâest pas pour trouver des justifications, mais pour mettre les sources Ă lâĂ©preuve et les replacer dans leur logique de production : interroger ce quâelles rĂ©vĂšlent autant que ce quâelles passent sous silence. Cette dĂ©marche ouvre un espace critique qui permet dâancrer lâanalyse, de nuancer lâinterprĂ©tation et de construire une position de recherche rĂ©flĂ©chie.
LâobjectivitĂ© des sources est souvent prĂ©sumĂ©e. Pourtant, tout document est le produit dâun contexte et d’une intention. Les sources ne reflĂštent pas simplement la rĂ©alitĂ©, mais la construisent selon des logiques spĂ©cifiques : professionnelles, politiques, esthĂ©tiques, Ă©ditoriales ou institutionnelles :
- Un plan dâarchitecte peut ĂȘtre un outil de travail ou un document de prĂ©sentation destinĂ© Ă sĂ©duire un client.
- Un texte rĂ©digĂ© par une administration ou une entreprise peut mettre en avant des intĂ©rĂȘts Ă©conomiques ou politiques.
- Une exposition dâarchitecture peut construire un rĂ©cit valorisant certains aspects dâun projet et en occultant dâautres.
- Une photographie de chantier peut ĂȘtre un simple enregistrement dâĂ©tape ou une image destinĂ©e Ă promouvoir une Ćuvre.
- Une monographie dâarchitecte peut ĂȘtre une Ă©tude critique ou un outil dâauto-promotion.
- Un document interne Ă une agence a une valeur diffĂ©rente dâun dossier publiĂ©.
- Un document ancien peut ĂȘtre rĂ©interprĂ©tĂ© diffĂ©remment selon les contextes culturels et historiques.
- Certains architectes sont surreprĂ©sentĂ©s dans lâhistoire de lâarchitecture en raison de choix Ă©ditoriaux ou acadĂ©miques.
- Lâhistoriographie de lâarchitecture moderne, par exemple, a longtemps privilĂ©giĂ© les figures masculines et les mouvements dominants, marginalisant dâautres approches.
- Un plan ne montre pas la totalitĂ© dâun projet : il privilĂ©gie un point de vue normatif et abstrait.
- Une photographie dâarchitecture met en scĂšne un bĂątiment sous un angle idĂ©alisĂ©, parfois loin de son usage rĂ©el.
Toute recherche doit se reposer sur une lecture critique des sources. Cela signifie que les documents (textuels, graphiques, audiovisuels, numĂ©riques…) ne doivent jamais ĂȘtre pris comme des reflets neutres de la rĂ©alitĂ©, mais comme des donnĂ©es situĂ©es, liĂ©es Ă un contexte, Ă un auteur ou Ă une intention plus ou moins dĂ©finie et ancrĂ©e Ă son moment de production.
Critiquer une source, ce nâest pas la rejeter : câest sâinterroger sur ses conditions de production, sur ce quâelle montre, ce quâelle omet, sur les filtres ou biais quâelle peut contenir.Il est essentiel de se poser quelques questions-clĂ©s :
-
Qui a produit ce document ? (institution, auteur, commanditaire)
-
Dans quel but ? (communication, justification, documentation, usage interne)
-
à quel moment et dans quel contexte ? (période, enjeux politiques, techniques ou économiques)
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à quel public était-il destiné ?
-
Que laisse-t-il dans lâombre ? (acteurs absents, aspects non documentĂ©s, angles morts)
Cette posture critique permet de mettre en tension les sources entre elles et Ă©ventuellement dâidentifier les contradictions ou les reprĂ©sentations partielles.
Dans le domaine de lâenvironnement bĂąti, oĂč les documents techniques cohabitent avec plusieurs rĂ©cits diffĂ©rents (de l’architecte, de l’ingĂ©nieur, de l’entitĂ© publique, du client, de la presse, etc.), ou avec des dispositifs rĂ©glementaires, la critique des sources est indispensable pour articuler les diffĂ©rentes dimensions du projet, qui est Ă la fois matĂ©rielle, politique, symbolique et sociale.
Adopter une posture critique, câest finalement prendre position comme chercheur·e, en assumant ses choix mĂ©thodologiques.
Citer correctement ses sources est une exigence fondamentale de toute dĂ©marche scientifique, et pas une formalitĂ© administrative. Cela permet non seulement de reconnaĂźtre le travail des institutions et des personnes ayant produit ou conservĂ© les documents, mais aussi de garantir la traçabilitĂ© et la vĂ©rifiabilitĂ© de votre travail, et lui donner un poids scientifique. Cela montre que vous vous appuyez sur des documents originaux, identifiables et consultables par dâautres chercheurs.
Citer une source archivistique
Une source dâarchives nâest pas une rĂ©fĂ©rence gĂ©nĂ©rique. Elle doit ĂȘtre identifiĂ©e prĂ©cisĂ©ment, en mentionnantâŻ:
- le nom de lâinstitution de conservation (ex. : Archives de la construction moderne, EPFL)âŻ;
- le nom du fonds ou de la collection (ex. : Fonds Jean Tschumi)âŻ;
- la cote complĂšte du document (ex. : 0060.04.0160)âŻ;
- le titre du document ou une brĂšve description (ex. : Organisation mondiale de la SanteÌ (OMS), Ă GenĂšve : rendu de concours [calques])âŻ;
- la date (si connue) et lâauteur (architecte, agence, etc.).
Exemple de citation :
- Archives de la construction moderne, EPFL. Fonds Jean Tschumi. 0060.04.0160 Organisation mondiale de la SanteÌ (OMS), Ă GenĂšve : rendu de concours [calques], 1960. Jean Tschumi (architecte).
Et les images ?
Lorsquâon insĂšre une image dans un travail scientifique (la reproduction d’un plan, d’une photographie, d’une lettre) il ne sâagit pas dâune simple illustration « dĂ©corative ». Une image est un document Ă part entiĂšre. Elle participe de lâargumentation et elle permet une lecture critique du projet. Ă ce titre, elle doit ĂȘtre lĂ©gendĂ©e prĂ©cisĂ©ment, avec les mĂȘmes informations que pour une source Ă©crite : institution, fonds, cote, description, date et auteur si possible.
NB : mentionner lâauteur dâune image nâest pas seulement une exigence scientifique : câest aussi une obligation lĂ©gale. Le droit dâauteur impose de crĂ©diter toute crĂ©ation et, en cas de publication et de diffusion, de demander lâautorisation auprĂšs de lâauteur ou de ses ayants droit.