Bruno Rossignol, le gratteur de casseroles parisien devenu chef de la révolution verte à l’EPFL

Le responsable de la restauration et des commerces du campus dévoile son ambitieuse stratégie pour la prochaine décennie en repensant toute la chaîne de valeur entre le producteur et le consommateur dans les points de restauration. Il propulse ainsi l’Ecole à l’avant-garde d’une mue révolutionnaire dans nos modes de consommation et d’alimentation.

C’est un lion en cage en plein Covid-19. Depuis la décision confédérale du 13 mars de fermer tous les sites de restauration, Bruno Rossignol fait les cent pas dans un campus désert. Un coup de frein qui «ennuie» le responsable de la restauration et des commerces (RESCO) de l’EPFL. Car à 46 ans, Bruno Rossignol est un bulldozer; une boule d’énergie aux mille vies qui semble se complaire uniquement dans l’action et les projets ambitieux. Alors semi-confiné dans son bureau depuis deux mois, il trépigne. A raison.

Depuis son arrivée sur le campus en avril 2019, Bruno Rossignol mène une profonde réflexion collective promettant de bouleverser nos modes de vie et de consommation pour répondre aux enjeux climatiques. Il entend ni plus ni moins proposer une offre culinaire durable, locale, davantage végétarienne et végane, dans le respect de la saisonnalité sur l’ensemble des points de restauration de l’EPFL, et ses antennes romandes. Simplement parce que Bruno Rossignol est convaincu que cette révolution verte passe d’abord par l’assiette.  Le responsable de RESCO propulse ainsi l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne à l’avant-garde d’un changement profond.

Un défi de taille

Car en touchant à nos assiettes, Bruno Rossignol veut repenser toute la chaîne de valeur entre le produit et le consommateur. C’est-à-dire de revoir l’offre culinaire, cultiver les parcelles de l’EPFL disponibles, réduire voire anéantir le gaspillage de nourriture, mesurer l’impact C02 de notre alimentation, bannir les ustensiles à usage unique, reconstruire un réseau de fournisseurs et d’agriculteurs en circuit-court, avec les restaurateurs, et renouer avec la saisonnalité des produits. Cette liste non exhaustive souligne l’ampleur d’un défi taillé pour lui.

Bruno Rossignol a savamment bâti une stratégie ambitieuse pour la prochaine décennie. Baptisée Projet/20-30, elle est le fruit d’une expérience passionnée et passionnante de trente ans entre Paris, la Suisse romande, l’Arabie Saoudite, le Liban et l’Azerbaïdjan. Entre deux gorgées de café et une livraison de colis, le responsable de RESCO rembobine le fil d’une vie qui lui a permis d’être aujourd’hui l’homme de la situation. Méthodique, précis, jovial, enthousiaste, il se remémore ses premiers émois culinaires. Le petit parisien du 19e arrondissement a alors 9-10 ans et se passionne pour les produits et la nourriture: «Je ne viens pas d’une famille de cuisiniers, mais j’ai toujours voulu faire ce métier.»

L’école des cuisines parisiennes

Autodidacte, Bruno Rossignol ne trouve pas son compte dans l’école traditionnelle. A 14 ans, il réussit son concours d’entrée dans une école hôtelière française pour se former à la cuisine: «Du jour au lendemain, j’ai été propulsé dans un monde d’adulte, se souvient-il. J’en ai pris plein la figure. La cuisine, c’est un métier rude.» Mais Bruno  s’accroche et s’endurcit. A 17 ans, il décroche son CAP-BEP (CFC) et part à la conquête des grandes tables étoilées de Paris en qualité de commis indépendants: «Je voulais faire un maximum de grandes tables pour me former. Les grands chefs sont passionnants, mais je ne voulais me limiter à la créativité d’un seul d’entre eux.»

Au début des années 1990, Bruno Rossignol veut prendre le large. Il postule dans divers établissements. Un matin, il reçoit l’appel de l’hôtel Beaulac, à Neuchâtel. Le commis n’a jamais mis les pieds en Suisse, mais le soir même, il est dans le TGV, Gare de Lyon. Il y travaillera quatre mois. Bruno migre ensuite dans un établissement fribourgeois avant que l’armée française ne le rattrape: «Mon avenir était en Suisse. Je n’avais pas du tout envie de retourner à Paris.» Il le fera, pendant un an. Sa mère, qui travaille dans un ministère le pistonne pour des extras à Matignon et à l’Elysée.

L’idylle helvétique

Le retour en Suisse se fera à Yverdon, à l’Hôtel de la Prairie, auprès du chef étoilé Jacques Besse: «Une exigence folle», se souvient Bruno Rossignol. Mais après dix mois, il se retrouve dans une situation précaire, faute de permis B. Le Parisien d’origine l’obtient finalement et change d’établissement pour gagner les cuisines de Jean-Baptiste Molinari – chef primé au Michelin et formé par Alain Ducasse – à Neuchâtel. Il «apprend beaucoup». Bruno part donc travailler 18 mois au Casino de Montreux. Puis ce sera le Lausanne-Palace et sa première étoile au Guide Michelin.

L’an 2000 est un tournant. Bruno se forme auprès de Gastrosuisse et Gastrovaud: «La formation est à la base de mon évolution», précise-t-il. A 25 ans, il imagine son avenir dans l’enseignement. Depuis petit, il rêve de l’Ecole hôtelière de Lausanne (EHL). Mais elle est inimaginable pour la bourse parentale. Bruno Rossignol trouve une place dans une petite école hôtelière à Caux, au-dessus de Montreux. Mais il n’en oublie pas ses rêves d’EHL: «Si je n’ai pas pu y entrer en tant qu’étudiant, je l’intégrerais en tant qu’instructeur.» Bruno Rossignol ne cache pas son ambition. A raison puisqu’il décroche un poste dans la prestigieuse école de Lausanne.

L’expérience s’avère déterminante. A l’Ecole hôtelière de Lausanne, Bruno Rossignol rencontre le chef québécois Rodrigue Benoît. Les deux commencent le même jour. Un coup de foudre professionnel et amical. Durant leur temps à l’EHL, les deux compères ont «les fesses ailleurs. Ensemble, on démultipliait les extras. Par exemple dans les cuisines de Paléo, dans des palaces d’Arabie Saoudite, d’Azerbaïdjan ou du Liban.»

L’aventure olympique

En 2004, Bruno Rossignol devient le chef attitré de l’équipe suisse de Triathlon aux JO d’Athènes, Puis Pékin en 2008, Londres en 2012 et lors des coupes du monde. Des expériences incroyables menées avec son compère de toujours Rodrigue Benoît. Bruno Rossignol constate que «les athlètes ne savent pas manger ou mal.» Il rectifie le tir et leur concocte des menus sur-mesure, à la calorie près. En marge de cette expérience avec le sport de haut niveau, Bruno Rossignol noue d’importantes relations avec la Fédération suisse de ski et Swiss Olympics. L’histoire pourrait se terminer là. Détrompez-vous.

En 2010, Bruno Rossignol chute en demi-finale du concours du meilleur ouvrier de France, mais rencontre Gilles Pettolaz, qui prend alors la direction de SV Group en Suisse romande, leader suisse de la restauration collective. Une rencontre déterminante: «Nous avons tout de suite accroché. Gilles m’a appris à avoir cette vision finance, business et de développement de projets.» Gilles Petollaz est un ambitieux lui aussi. Dès son arrivée à la tête de SV Group, il veut monter les restaurants collectifs parfaits en Suisse romande, avec du frais, du local, de la saison, du durable. Il s’adosse l’expérience de Bruno.

Le défi est épuisant: «Il fallait tout construire. J’habitais Blonay. Je me levais à 3h50 du matin pour être à 5h30 dans toute la Suisse romande. On a développé tout un nouveau réseau avec des fournisseurs de la région. Nous avons planté nos propres légumes. Nous avons même fait venir les maraîchers dans nos quarante restaurants et mis en place une cuisine de saison.» Ce rythme de travail diabolique lui ouvre de nouvelles opportunités. Les hôpitaux Universitaires de Genève (HUG) l’appellent et lui offre le poste de chef de cuisine. Bruno Rossignol revient à la cuisine diététique. Un poste qu’il quittera deux ans plus tard.

La révolution epflienne

Nous sommes en 2018. Bruno Rossignol postule pour diriger les restaurants et les commerces de l’EPFL. La réponse se fait attendre, mais elle arrive: «Lors de l’entretien, j’ai récupéré tous mes acquis depuis mes 14 ans; tous mes contacts dans la distribution, les achats. Je suis passé aussi par tous les types de restauration. Tout cela, il fallait que je le mette à profit du poste.» Car Bruno ne veut pas juste «gérer» les restaurants. Il entend faire la révolution. Il décroche le poste et monte sa stratégie d’une feuille blanche: «A mon arrivée, j’ai découvert un terrain de jeu inexploré. J’avais l’envie de construire ma stratégie en écoutant d’abord les besoins et les  revendications des étudiants en matière d’alimentation.»

Bruno Rossignol travaille d’arrache-pieds pour monter sa stratégie. Il la présente en automne 2019 devant la présidence et la vice-présidence de l’EPFL. C’est une révélation pour l’Ecole. Bruno Rossignol reçoit l’aval de Martin Vetterli et sonne le coup d’envoi de sa stratégie en janvier 2020. Mais le défi est grand. Bruno Rossignol le sait: le succès de cette stratégie repose  sur  un  ambitieux  effort  collectif  entre   la   communauté   EPFL,   les   restaurateurs,   les  producteurs  et  la  direction  de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Cet engagement se manifeste d’abord dans l’assiette, mais il s’inscrit dans une stratégie globale de changement pour la prochaine décennie. Un pari sur l’avenir que Bruno Rossignol compte bien remporter. Covid-19 ou pas.